dimanche 17 septembre 2017

Je suis partie en vacances récemment, je n’avais pas pris mon ordinateur car les vacances, d’après l’acception usuelle de ce terme, désignent une période pendant laquelle on ne travaille pas. Sauf que j’ai complètement raté mon coup, cerveau en ébullition chaque soir. Résultat, j’ai passé mes nuits à écrire et mes journées à dormir, j’ai raté la visite du plus grand monastère de la chaîne des Balkans et je suis rentrée avec un bronzage excessivement discret, pour ne pas dire invisible. Mais en contrepartie, j’avais dans ma valise du retour un carnet de notes bien dodu, bien joufflu, tout débordant d’idées claires et sautillantes. Ensuite, il n’y avait plus qu’à mettre au propre. Le pied : comme si quelqu’un avait travaillé à ma place, que je n’avais plus qu’à jouer à l’assistante qui rédige un rapport sur la base des lignes directrices données par la patronne. Naturellement, l’assistante fignole, affine, cisèle ; mais la conception, les grands choix, le territoire, les intentions, l’architecture, tout ça est déjà à disposition, elle se contente de tirer sur les fils. Du prochain roman, il va sans dire. 

Mon cœur se cabre, quelques secondes il reste en gare tandis que mon corps déjà à toute allure est propulsé sur les rails, puis l’organe me rattrape et je respire à plein poumons, dans mes poumons du dos et sans bouger le ventre, c’est ma prof de Pilates qui m’a appris. (Post-it trouvé sur mon bureau : concerne le moment où j’ai trouvé l’architecture de R4.)

Pilates, c’est un peu la révélation du moment. Sport, discipline, plutôt discipline, je voulais faire du sport cependant j’ai trouvé une discipline, et au fil des semaines Pilates est devenu à la fois la métaphore et le modèle, la matrice, l’horizon de tous mes efforts, de toutes mes recherches. Parce que Pilates c’est l’endurance et le centrage, c’est la maîtrise et la puissance, mais une puissance fluide et profonde, qui ne brutalise pas, qui ne maltraite pas. Un contrôle doux, l’ambition sans la crispation. Chaque fois que je me heurte, que je me cogne, que c’est dur ou poisseux, Pilates m’est d’un si grand secours, je me porte secours avec Pilates. Qui m’aide et me guide. Qui me dit voici la posture mentale, voici le rapport à soi et au monde. Qui me dit résiste, résiste, accroche-toi, oui ma grande accroche-toi, résiste et déploie, ouvre et irradie, drape-toi, englobe-toi d’une pensée grande et transversale qui inclut d’infinis réglages, d’infinis détails, décompose et recompose, développe et enveloppe, songe aux détails et songe à l’ensemble, vois les infimes parties et vois le tout, et jamais ne lâche le centre, ne force pas, ne contracte pas mais conserve la tension, la légère tension, tiens et maintiens, c’est le centre, n’oublie jamais ton centre, tu es ton centre, puise ton énergie dans ton centre, tu es puissante, tu peux tout, tu survivras à tout, tu peux arriver partout. Bref, Pilates c’est trop bien, je suis fan.

C’est une grande feuille comme un paysage, il y a des crevasses, je soulève les bords de la crevasse, je tire ça fait mal, un peu mal, comme quand on tire sur une plaie, sur les bords d’une plaie. (Post-it trouvé sur mon bureau : aucune idée de ce dont ça parle.)

Sinon, j’ai cassé, les unes après les autres, et bien sûr involontairement, toutes mes tasses à double paroi en verre. C’est une immense tragédie. 

mardi 18 octobre 2016

[écrit en 2011 ou 2012 – pour les orphelines]

As-tu, toi aussi, d’un côté cette sensation que l’amour, le couple, sont les choses les plus importantes de ton existence, que tu pourrais mourir par amour, pour un amour, que tu es excessive, passionnée, toute entière habitée, que ton amour est toute ta vie, ta famille, précisément parce que tu n’as pas de famille, et de l’autre, pourtant, d’une manière tout aussi certaine, l’idée que tu existes d’une manière totalement indépendante, à la façon d’un homme, que l’essentiel est ailleurs, l’essentiel est dans le travail et l’écriture, et que rien d’autre de véritable et d’authentique n’existe ? 

De là l’idée que l’amour peut s’effondrer, et toi avec, mais que pourtant, toi toujours, toi la même, tu resteras, ce qui restera sera le socle de ta personne, ce socle qui ne vit que pour lui-même, qui se satisfait de lui-même, pour qui seuls comptent le travail et l’écriture ?

As-tu, toi aussi, la sensation d’être à la fois une femme, prête à fusionner comme on nous l’a si bien enseigné, l’amour romantique et la fusion sont des histoires de femmes qui s’oublient et se fondent en l’autre n’est-ce pas, et à la fois un homme, qui existe seul, debout, fort, indépendant, tout entier tourné vers la création, la construction ? 

La gloire des hommes, le bonheur des femmes, je veux les deux, mais à choisir, ce qui reste, ce vers quoi je tends, c’est la gloire ; si l'amour m'épluche, ce qui reste, c'est moi en armes, moi en guerrière, prête à conquérir le monde. 

vendredi 2 septembre 2016

Le 28 janvier 2014, date de la précédente note, je n’avais manifestement pas encore trouvé l’architecture du roman à paraître prochainement. Puis je me suis révolutionnée de l’intérieur et j’ai opté pour un tournant narratif. Un début, une fin, avec une histoire entre les deux. Je n’aurais pas cru. Que je voulais ça. Que j’en étais capable. Que j’allais adorer le faire. C’était comme confectionner un cadeau géant avec plein de surprises dedans

mercredi 29 janvier 2014

L’autre jour j’ai pensé : ajouter des repères temporels ce serait bien. Parce que des fois situer l’action (enfin l’action) cela clarifie les choses. Or plus le cadre est cadré plus on peut faire n’importe quoi à l’intérieur. Du moins c’est ma théorie. 

J’ai posé la question à un éminent spécialiste. 

Moi : Dis, que penserais-tu d'un roman avec des dates au début de chaque chapitre, mais dans un ordre anti-chronologique ? Genre 23 octobre, 12 avril, 18 mai, 24 octobre, etc.  
Lui : Rien.  
Moi : Ce serait comme s’il n’y avait pas de dates c’est ça ? 
Lui : Oui. 
Moi : Tu ne te dirais pas, tiens, le 24 octobre c’est après le 23, ce que je lis maintenant doit être la suite de ce que j’ai lu au début ?
Lui : Non. 
Moi : Et si du coup tu ne comprenais rien à l’histoire, tu ne reviendrais pas en arrière pour vérifier les dates, essayer de reconstituer les événements ? 
Lui : Dans un cas comme ça je lâche le livre. Enfin si c’est le tien, je me force pour être gentil, mais sinon, je laisse tomber. 
Moi : Et s’il y avait des couleurs en plus, par exemple 18 septembre aubergine, 3 mai indigo, 18 décembre magenta, cela ne t’intriguerait pas ? Tu n’y verrais pas une référence à des mondes parallèles qui… 
Lui : Non. 

Sinon j'ai aussi pensé à utiliser les échecs. Chaque chapitre serait une case, et le livre se présenterait de manière à ce que, un chapitre après l’autre, on soit en train de retracer les coups d’une partie célèbre se terminant par un pat. (Le pat faisant office de subtile chute.) On se déplacerait ainsi à la fois sur l’échiquier et dans le temps. Naturellement, le texte pourrait aussi se lire d’une autre manière, de a1 à a8, puis de b1 à b8, et ainsi de suite, et cette seconde lecture éclairerait la première d’une troublante lumière. Sauf que j’ai réalisé, il était temps, que ces joueurs, là, dans leurs compétitions internationales, non seulement ils n’utilisaient pas toutes les cases de leur échiquier, mais qu’en plus, il leur arrivait, la chose n’est pas rare du tout, de repasser plusieurs fois par la même case. Du coup, c’est mission impossible, mon truc. À moins bien sûr d’inventer une partie sans aucune capture, une sorte de ballet coopératif où les deux camps s’éviteraient soigneusement et auraient comme unique objectif de visiter une fois, et une seule, chacune des cases de l’échiquier, mais franchement c’est au-dessus de mes forces. Puis j’ai comme l’intuition que, comment dire ? Bref, pour l’heure le problème reste entier, quel suspens.

(Il y a des gens qui sont vraiment très unifiés. Je ne comprends pas comment ils font.)  

À part ça, j'ai découvert que les abeilles étaient capables d'abstraction

vendredi 8 novembre 2013

J’ignore si les gens qui passent par ici écrivent, s’ils écrivent des trucs volumineux, s’ils écrivent leurs trucs volumineux sur un Macintosh, cela fait un certain nombre de conditions à remplir nous sommes d’accord, mais donc, si vous avez coché toutes les cases du formulaire sachez qu’il existe un logiciel drôlement fonctionnel, tellement fonctionnel que je vous le recommande vivement. Parce que Scrivener, c’est son nom, il est intelligent : il a compris qu’un roman, ça ne s’écrivait pas dans l’ordre. Genre un chapitre après l’autre. Ni dans le désordre. Genre un chapitre après l’autre, mais en commençant par le milieu ou par la fin. Non non non. Un roman, du moins par ici, cela s’écrit de partout, en même temps. Un roman est une galaxie dans mon cerveau cosmique tout est connecté, et partant de là il est évident que j’ai besoin de pouvoir utiliser 178 fichiers de manière simultanée. 

En effet, ce que je modifie d’un côté, ça modifie aussi l’autre côté - une grande machine avec des roues dentées, tout ça. Et l’intégralité de ce bordel dans un seul gros fichier, ce n’est pas possible, en plus Word, et même Nisus, et même Open Office, vous voyez j’en ai essayé des alternatives, eh bien les gros fichiers, paf, ils explosent. Oui oui oui. Quant à moi, j’ai juste envie de vomir à force de faire défiler 300 pages toutes les cinq minutes, j’ai toujours eu un penchant pour l’épilepsie, que je ne désire pas forcément cultiver par la pratique intensive de l'apnée informatique. Or avec Scrivener, clic clic clic, on ne fait pas défiler mais on clique, c’est tellement plus doux et reposant. Parce que Scrivener, il réfléchit en termes de projet. Vous ouvrez votre projet, et il vous donne accès à une bibliothèque de fichiers. Bibliothèque infinie. Et néanmoins très organisée, si tel est votre souhait. C’est forcément votre souhait, être organisé est le souhait de tout le monde, nous écrivons pour organiser, écrire c’est organiser. Scrivener, donc, est l’outil idéal contre la crise de nerfs : les morceaux sont séparés, mais ensemble. En plus, il ne plante pas. Jamais. Même avec ses 178 fichiers ouverts en même temps. Il ne bouge pas. Il résiste, stoïque. Tranquille. Même pas ralenti. Rien. C’est un roc, vous pouvez vous appuyer sur lui. Il est rassurant. Il a un mode plein écran qui est très confort. Et tout plein de fonctions très pratiques. Que je n’utilise jamais, mais qui sont formidables, j’en suis convaincue. Il n’est pas très cher. Il est moins cher, en tout cas, que votre ordinateur. Ordinateur que vous ne fracasserez plus contre le mur. 

(Je n’ai pas été rémunérée pour écrire ce billet mais je suis tout à fait ouverte à la corruption rétroactive.)